Le chat noir Un fantôme est encor comme un lieu
où ton regard se heurte contre un son;
mais contre ce pelage noir
ton regard le plus fort est dissout:
ainsi un fou furieux, au paroxysme
de sa rage, trépigne dans le noir
et soudain dans le capitonnage sourd
de sa cellule, cesse et s'apaise.
Tous les regards qui jamais l'atteignirent,
il semble en lui les recéler
pour en frémir, menaçant, mortifié,
et avec eux dormir.
Mais soudain, dressé vif, éveillé,
il tourne son visage — dans le tien:
et tu retrouves à l'improviste
ton regard dans les boules d'ambre
de ses yeux: enclos
comme insecte fossilisé.
Rainer Maria Rilke,
Nouveaux PoèmesBerceuse Endormons-nous, petit chat noir.
Voici que j'ai mis l'éteignoir
Sur la chandelle.
Tu vas penser à des oiseaux
Sous bois, à de félins museaux...
Moi rêver d'Elle.
Nous n'avons pas pris de café,
Et dans notre lit bien chauffé
(Qui veille
.)
Nous dormirons, pattes dans bras.
Pendant que tu ronronneras,
J'oublierai l'heure.
Sous tes yeux fins, appesantis,
Reluiront les oaristys
De la gouttière.
Comme chaque nuit, je croirai
La voir, qui froide a déchiré
Ma vie entière.
Et ton cauchemar sur les toits
Te diras l'horreur d'être trois
Dans une idylle.
Je subirais les yeux railleurs
De son faux cousin, et ses pleurs
De crocodile.
Si tu t'éveilles en sursaut
Griffé, mordu, tombant du haut
Du toit, moi-même
Je mourrai sous le coup félon
D'une épée au bout du bras long
Du fait qu'elle aime.
Puis hors du lit, au matin gris,
Nous chercherons, toi, des souris,
Moi, des liquides
Qui nous fassent oublier tout,
Car au fond, l'homme et le matou
Sont bien stupides.
Charles Cros